Hannes Lindemann a voulu comprendre comment des naufragés pouvaient survivre en haute mer. Ce médecin et navigateur expérimenté originaire de Hambourg ne croyait pas au récit de son confrère français Alain Bombard, qui affirmait en 1952 avoir survécu à une traversée à bord d’un canot pneumatique avec pour seule nourriture du poisson cru et de l’eau de mer. En 1955, Lindemann s’est donc lancé lui aussi en se fixant pour objectif de boire chaque jour un demi-litre de jus de fruits et un demilitre d’eau de mer, « pour voir combien de temps le corps humain le supporterait ». Ce qu’il redoutait arriva au bout de 24 heures : ses pieds commencèrent à enfler. Il a néanmoins poursuivi son expérience avant d’abandonner lorsque les oedèmes ont atteint ses genoux.
Lors de la traversée suivante, il a essayé d’étancher sa soif en utilisant d’autres stratégies. Il a commencé par ne rien boire pendant 18 jours, couvrant ses besoins hydriques uniquement par des fruits. Ensuite, il a récolté de l’eau de pluie, consommé des liquides et des calories sous forme de lait en boîte et d’un mélange composé d’eau et de vin rouge, ce qui s’est révélé très efficace.
Danger de mort
Boire de l’eau de mer, qui contient en moyenne 3,5 % de sel, reste une entreprise dangereuse pour l’être humain, sauf en cas d’ingestion accidentelle lors d’une baignade ou, pour les naufragés en situation d’urgence, mais après l’avoir diluée avec beaucoup d’eau douce. Le problème réside dans l’osmose qui implique que l’eau s’écoule toujours vers les zones où la concentration en sel est la plus élevée. L’eau salée qui circule dans le corps prive les cellules d’eau, ce qui entraîne une déshydratation interne. De plus, nos reins ne peuvent réguler l’excès de sel que jusqu’au point où l’urine reste moins salée que l’eau de mer. Par conséquent, si une personne boit de l’eau salée, elle doit éliminer plus d’eau qu’elle n’en consomme afin d’excréter l’excès de sel, ce qui entraîne une déshydratation rapide qui peut entraîner la mort.
Système de dessalement interne
Pour certaines espèces animales, c’est beaucoup plus simple. Au cours de l’évolution, les mouettes et d’autres oiseaux marins tels que les albatros et les pingouins se sont adaptés à leur environnement en développant des systèmes de dessalement internes. Les mouettes disposent de deux glandes salines au-dessus des yeux. Lorsqu’elles boivent de l’eau de mer, les glandes salines filtrent le sel absorbé par l’intestin avant qu’il ne passe dans le sang. Chaque glande possède un canal principal qui mène à l’une des narines, d’où le sel concentré s’écoule jusqu'à l’extrémité inférieure du bec. Pour les mouettes, la désalinisation n’est pas sans conséquence, car cela requiert beaucoup d’énergie. On suppose donc qu’elles privilégient généralement l’eau douce ou peu salée pour des raisons d’économie d’énergie.
Le stress psychologique
Pour Hannes Lindemann, il était évident que son prédécesseur avait triché lors de sa traversée de l’Atlantique. Dans son livre « Seul sur l’océan : un médecin en pirogue et canot pliant », il accuse Alain Bombard d’avoir emporté plus de provisions que prévu, y compris de l’eau potable, et affirme aussi qu’il s’est ravitaillé en vivres auprès de deux bateaux à vapeur pendant son voyage. Les deux marins étaient toutefois d’accord sur un point : le plus grand défi pour les naufragés n’est pas l’alimentation, mais le stress psychologique induit par les épreuves endurées.