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Ne pas confondre neutralité des coûts et budget global

Révision tarifaire La neutralité des coûts a toujours été une exigence majeure de la révision tarifaire. Le Conseil fédéral entend désormais aller bien au-delà de la neutralité statique et dynamique des coûts et adopte pour la première fois un plafonnement des coûts sous forme de budget global. Mais quelles sont exactement les différences ?

Nora Wille
Dre phil., collaboratrice scientifique personnelle de la présidente

Yvonne Gilli
Dre méd., présidente de la FMH

La révision du tarif médical ambulatoire a toujours été liée à de nombreux défis ; une des tâches les plus épineuses consistant à mettre en œuvre la neutralité des coûts exigée par l’ordonnance sur l’assurance-maladie et plus exactement par l’art. 59c, al. 1, let. c, OAMal, qui formule une idée dont le fond est plutôt simple : « un changement de modèle tarifaire ne doit pas entraîner de coûts supplémentaires » [1].

Un changement de modèle tarifaire ne doit pas entraîner de coûts supplémentaires
La question de savoir exactement comment réaliser une transition neutre en termes de coûts entre le TARMED et le TARDOC a suscité le débat dès le début. Ainsi, lorsque curafutura et la FMH ont déposé ensemble le TARDOC pour la première fois en juillet 2019, elles proposaient deux concepts différents, qui ne se distinguaient que par le nombre de points tarifaires [2]. La version remise en juin 2020, adaptée par les partenaires tarifaires en fonction des exigences du Conseil fédéral, était assortie d’un concept commun de neutralité des coûts [3]. Comme la majorité des fournisseurs de prestations et des assureurs soutenait désormais le nouveau tarif et le concept de neutralité des coûts [3], tel que l’exige la loi, plus rien ne semblait s’opposer à une approbation prochaine.

Des années de retard liées notamment à de nouvelles exigences
Pourtant, ce n’est pas ce qui est arrivé. Dans les années qui ont suivi, les partenaires tarifaires ont été confrontés à des retards, mais aussi à des conditions toujours plus nombreuses à remplir [4] portant non seulement sur le tarif en lui-même, mais aussi sur la neutralité des coûts. Plus on avançait et moins il était question de neutralité statique des coûts, qui peut se vérifier de manière claire et explicite car il s’agit de contrôler l’incidence sur les coûts du passage (à un instant t) de l’ancien TARMED au nouveau TARDOC. Au contraire, c’est la neutralité dynamique des coûts, mesurée sur une période d’introduction donnée, qui s’est mise à focaliser toute l’attention, sans être un concept défini ni même mentionné dans l’OAMal (art. 59c) ou la LAMal. À la demande de l’OFSP, cette période pendant laquelle la neutralité des coûts devait être garantie est passée tout d’abord de un à deux ans avant d’être portée à trois ans. En juin 2022, la Confédération a exigé un nouveau concept de neutralité des coûts incluant un monitorage, avant de renforcer encore un peu plus les exigences. Cela vaut donc la peine d’aller voir de plus près et de se demander ce que signifient exactement neutralité statique et neutralité dynamique des coûts.

Neutralité statique des coûts : une définition claire, relativement simple à mettre en œuvre
Pour simplifier, on peut dire que la neutralité statique des coûts se réfère à l’instant t de l’introduction d’un tarif. Elle exige que le même volume des mêmes prestations coûte le même prix dans l’ancien et le nouveau tarif – sans que le changement de tarif provoque une hausse instantanée des coûts. Si certaines prestations augmentent, d’autres deviennent moins chères, mais le total des coûts ne bouge pas. En d’autres termes, si tous les traitements ambulatoires, par exemple ceux de 2024, facturés selon l’ancien tarif étaient facturés selon le nouveau tarif, les coûts ne devraient pas être plus élevés. Cette exigence peut être facilement vérifiée et les partenaires tarifaires l’ont entièrement satisfaite.

Neutralité dynamique des coûts : indéfinie et difficile à mettre en œuvre
Or le Conseil fédéral exige aussi la neutralité dynamique des coûts. Il est parti de la disposition de l’OAMal selon laquelle une révision tarifaire ne doit pas entraîner de coûts supplémentaires et il en a déduit que les éventuelles hausses effectives devaient également être contrôlées pendant une phase d’introduction, afin de garantir que l’application du nouveau tarif ne se solde pas à terme par un accroissement du volume des coûts. Une exigence à laquelle les partenaires tarifaires ont répondu. Il ne restait plus que la marge d’interprétation permettant de savoir quand cette exigence de la Confédération pouvait être considérée comme remplie : quelle serait la durée de la période de contrôle ? Quelle fourchette de variations est acceptable, et laquelle ne l’est pas ? Et comment distinguer les effets du nouveau système tarifaire des autres facteurs qui impactent l’évolution des coûts ?

La révision tarifaire respecte non seulement la neutralité statique des coûts...
Grâce à un travail intensif et à une grande expertise, les partenaires tarifaires ont réussi à trouver des réponses fondées à des questions complexes comme celles-ci et à répondre aux vastes exigences de la Confédération [5]. Ils ont assuré la neutralité statique des coûts par un ajustement des points tarifaires : le nombre des points qui permettent d’indemniser toutes les prestations médicales en fonction de la charge de travail et des coûts a été corrigé à l’aide d’un facteur d’ajustement (facteur externe, FE) de manière à ce que le volume de points n’augmente pas dans le nouveau système et que l’application des anciennes valeurs du point tarifaire n’engendre pas de coûts supplémentaires.

... mais aussi les exigences strictes de la neutralité dynamique des coûts
Les partenaires tarifaires se sont également attelés à la neutralité dynamique des coûts et ont rempli cette exigence en mettant sur pied un monitorage et en définissant une fourchette de fluctuation maximale. Quant aux exigences durcies ultérieurement par la Confédération, ils les ont également réalisées et ont défini que les coûts par personne assurée ne devaient pas baisser de plus de 1 % ni augmenter de plus de 1,5 % par an. Combinée à la croissance démographique supposée par la Confédération, cela permet une croissance maximale des coûts totaux de 2,5 % [6]. Plusieurs mesures de pilotage sont prévues en cas de hausse plus importante, différenciées selon les grandes régions, le secteur (hôpital, cabinet médical) et la discipline (médecine de premier recours, médecine spécialisée). Ce contrôle strict durera au moins jusqu’en 2028, mais en réalité pour une durée indéterminée : dans ses exigences de juin 2024, la Confédération l’impose jusqu’à ce que 34 % du volume des prestations ambulatoires soient indemnisés par des forfaits.

En quoi la neutralité des coûts se distingue-t-elle d’un budget global ?
La solution rigoureuse mise en place par les partenaires tarifaires ne poursuit qu’un seul objectif : remplir les exigences de l’art. 59c, al. 1, let. c, OAMal. C’est aussi la raison pour laquelle les augmentations qui n’ont rien à voir avec le changement de modèle ne doivent pas entrer en ligne de compte de la neutralité des coûts et être définies comme des facteurs exogènes. Comme chacun sait, la hausse des coûts de la santé est conditionnée par de nombreuses raisons totalement indépendantes du tarif médical. Les coûts augmentent en effet chaque année même sans changement de modèle tarifaire, notamment en raison du vieillissement de la population (démographie), de l’évolution de la charge des maladies (morbidité) et de traitements meilleurs et plus nombreux (progrès de la médecine). Par ailleurs, le virage ambulatoire voulu et encouragé au niveau politique, c’est-à-dire moins hospitaliser et favoriser les traitements en ambulatoire, engendre des augmentations de coûts dans le secteur ambulatoire. La manière de prendre en compte ces facteurs exogènes trace une ligne claire entre neutralité des coûts et budget global : la neutralité des coûts exige exclusivement que le changement de modèle n’entraîne pas de coûts supplémentaires. En revanche, un budget global exige de financer toutes les évolutions impactant le domaine de la santé par un budget fixé à l’avance au niveau politique (plafonnement des coûts). La neutralité des coûts est inscrite dans l’ordonnance sur l’assurance-maladie tandis que le budget global a toujours été rejeté par le peuple et le Parlement ces dernières années.

Toutes les exigences sont remplies et la Confédération répond par un budget global
En ce sens, la décision du Conseil fédéral du 30 avril 2025 peut être considérée comme un changement de paradigme. Le Conseil fédéral atteste explicitement que les partenaires tarifaires ont rempli toutes ses exigences. Ils ont « harmonisé entre les deux structures tarifaires [...] la méthode visant à garantir la neutralité des coûts » [6] et respecté l’« augmentation annuelle des coûts totaux » prescrite de 2,5 %, une « augmentation plus importante n’[étant] autorisée que dans des cas motivés » [6]. Malgré tout, le Conseil fédéral a « fixé une limite maximale à l’augmentation annuelle des coûts totaux effectifs des prestations médicales ambulatoires ». Cette hausse est limitée à 4 %. Si elle est dépassée, « les partenaires tarifaires devront prendre des mesures de correction », censées « combler les lacunes qui subsistent encore au niveau de la neutralité des coûts » [6].

Le budget global de la Confédération n’a rien à voir avec la neutralité des coûts
La neutralité des coûts exigée pour un nouveau modèle tarifaire n’a cependant rien à voir avec une limite maximale fixée pour l’ensemble des coûts ambulatoires. Une simple disposition prévoyant un changement de tarif neutre en termes de coûts a été transformée en une condition bien plus large imposant au corps médical de financer toutes les augmentations de coûts ambulatoires qui se situent au-delà de la limite de 4 % fixée par le Conseil fédéral. Sans se soucier des contradictions que cela implique, sachant que les augmentations supérieures à 2,5 % ne seront autorisées que dans « des cas motivés » [6]. Mais si de bonnes raisons comme la démographie, les progrès de la médecine, la demande ou la morbidité, le virage ambulatoire, une pandémie ou un flux d’immigration lié à une crise devaient un jour engendrer une hausse supérieure à 4 %, ce serait au corps médical d’en faire les frais1. Il est évident que ce n’est pas ce que visait l’art. 59c OAMal. Par ailleurs, ce budget global va à l’encontre du principe d’assurance inscrit dans la Constitution : il change la tarification des prestations obligatoires au risque qu’elles ne soient plus fournies si leurs coûts ne sont pas couverts. L’exemple ci-après (cf. tableau) montre clairement que cela peut nuire à une prise en charge médicale adaptée aux besoins des patientes et des patients.

Conclusion : ensemble, nous devons corriger les erreurs et saisir les opportunités
Le premier budget global adopté en Suisse le 30 avril 2025 est un coup dur pour la révision tarifaire qui semblait enfin entrer dans sa dernière ligne droite, notamment grâce à des évolutions positives chez tous les acteurs : avec prio.swiss, la nouvelle faîtière des assureurs, nous pouvons à nouveau espérer renouer avec un interlocuteur constructif. Le corps médical serre les rangs au-delà de la diversité qui le caractérise pour soutenir ensemble la révision. Enfin, la nouvelle direction du Département fédéral de l’intérieur et la nouvelle organisation pour les tarifs médicaux ambulatoires (OTMA) ont également permis de lever de nombreux blocages. Ce nouveau budget global et l’approbation du tarif pour une durée déterminée apparaissent comme les reliques d’une époque révolue, lorsque les politiques ne voulaient pas donner le feu vert au partenariat tarifaire. Maintenant, il s’agit pour tous les acteurs concernés de corriger les dernières erreurs. Le Conseil fédéral doit mettre fin au budget global le plus rapidement possible, et les partenaires tarifaires doivent avant tout réviser les forfaits ; sans oublier que nous toutes et tous serons jugés sur notre capacité à saisir les opportunités qui se présentent aujourd’hui pour rebondir et faire évoluer notre système de santé dans la bonne direction.

1Les mesures de correction telles que celles imposées peuvent conduire à une diminution de la rémunération des prestations, calculée de manière appropriée et selon les principes applicables en économie d’entreprise, si bien qu’il ne serait plus possible de les fournir en couvrant les coûts qu’elles engendrent. Cela va à l’encontre de l’art. 43, al. 4, LAMal.

Tabelle: Was unterscheidet statische und dynamische Kostenneutralität?

Références

  1. Fedlex. La plateforme de publication du droit fédéral. 832.102 Ordonnance sur l'assurance-maladie (OAMal) du 27 juin 1995 (état au 1er janvier 2025) ; URL : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1995/3867_3867_3867/fr#art_59_c
  2. Communiqué de presse d’ats-tms SA, de curafutura, de la FMH et de la CTM, 12 juillet 2019. Le TARDOC a été remis au Conseil fédéral ; URL : https://fmh.ch/files/pdf23/ats-tms_medienmitteilung_2019_07_12_f.pdf
  3. Communiqué de presse de curafutura et de la FMH, 25 juin 2020. Tarif médical Tardoc : étape décisive pour la révision ; URL : https://www.fmh.ch/files/pdf24/communique-de-presse-tarif-medical-tardoc-etape-decisive-pour-la-revision-tarifaire.pdf
  4. Gilli, Y. Tarif étatique et budgétisation par la tactique du saucissonnage. Bulletin des Médecins Suisses 2022;103(18):581 ; URL : https://www.fmh.ch/files/pdf27/bms_2022_20775.pdf
  5. Tarifs ambulatoires 2026 : neutralité des coûts. Fiche d’information de la FMH, version 1.0 ; URL : https://www.tarifeambulant.fmh.ch/files/pdf32/ambulante-tarife-2026_factsheet-kostenneutralitaet_fr-v2.pdf
  6. Communiqué de presse du Conseil fédéral, 30 avril 2025. TARDOC et forfaits ambulatoires : le Conseil fédéral approuve le nouveau système tarifaire global ; URL : https://www.news.admin.ch/fr/newnsb/ZmuX5mu0cy0X4PeZqT-2o