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« Les cas d’échinococcose alvéolaire sont en hausse »

La Suisse n’est pas le seul pays où le nombre de personnes infectées par le ténia du renard est en augmentation. Le Prof. Beat Müllhaupt et le Dr Rudolf Ansgar Deibel, de la clinique de gastroentérologie et d’hépatologie de l’Hôpital universitaire de Zurich, nous expliquent pourquoi, tout en présentant les progrès réalisés dans le traitement de la maladie.
Propos recueillis par Simon Koechlin, journaliste scientifique
mülhaupt

Le Prof. Beat Müllhaupt
est médecin adjoint à la clinique de gastroentérologie et d’hépatologie de l’Hôpital universitaire de Zurich et professeur titulaire à l’Université de Zurich.

Urs Stoffel

Le Dr Rudolf Ansgar Deibel
est chef de clinique à la clinique de gastroentérologie et d’hépatologie de l’Hôpital universitaire de Zurich.

Simon Koechlin : Prof. Müllhaupt, Dr Deibel, vous avez participé à une récente étude [1] qui recense l’évolution des cas d’échinococcose alvéolaire en Europe au cours des 25 dernières années. Qu’avez-vous découvert ?
Beat Müllhaupt : Nous avons fourni les données zurichoises pour cette étude. Dans l’ensemble, il est apparu que la fréquence des nouvelles infections par le ténia du renard augmente dans presque tous les pays.

Et donc aussi en Suisse ?
Rudolf Ansgar Deibel : Oui, l’incidence annuelle s’élève à environ 0,5 cas pour 100 000 habitants, soit un peu moins de 50 cas pour l’ensemble de la Suisse, ce qui est deux fois plus qu’au début du millénaire. Il ne s’agit toutefois que d’une estimation, car l’échinococcose n’est pas une maladie à déclaration obligatoire en Suisse et il n’existe donc pas de registre national.

Quelles sont les causes de cette augmentation ?
Beat Müllhaupt : Trois hypothèses sont en discussion : l’augmentation du nombre de renards, en particulier dans les villes, l’amélioration des diagnostics et la multiplication des traitements immunosuppresseurs. En Suisse, les renards, principaux hôtes de la maladie, ont été décimés par la rage dans les années 1960 et 1970. Une fois l’épidémie maîtrisée, les populations de renards ont recommencé à augmenter. Quelque 10 à 15 ans plus tard, il y a eu une recrudescence de cas d’échinococcose chez l’humain, les symptômes ne se manifestant que des années, voire des décennies plus tard.
Rudolf Ansgar Deibel : La deuxième hypothèse est liée au fait que l’on réalise aujourd’hui beaucoup plus d’échographies, de tomodensitométries ou d’IRM, ce qui permet de détecter les cas asymptomatiques de manière fortuite. La troisième hypothèse a été avancée par des chercheurs français : ils ont observé une augmentation de cas chez les personnes immunodéprimées et/ou sous traitement médicamenteux ; ces dernières seraient potentiellement plus sensibles à une infection par l’échinococcose alvéolaire. Nous n’avons toutefois pas pu établir ce lien de cause à effet à l’Hôpital universitaire de Zurich. La majorité des nouveaux cas concerne des personnes qui ne sont pas immunodéprimées.

« La majorité des nouveaux cas diagnostiqués concerne des personnes qui ne sont pas immunodéprimées. »
Dr. med. Rudolf Ansgar Deibel

L’être humain est un hôte accidentel qui ingère les oeufs de ténia excrétés par le renard, hôte définitif du parasite. Pour que le cycle de vie du ténia se poursuive, des hôtes intermédiaires comme les campagnols ou d’autres rongeurs sont nécessaires. Outre les populations de renards, la présence de campagnols peut-elle aussi avoir un impact sur la fréquence des infections ?
Rudolf Ansgar Deibel : Oui, globalement. La propagation du ténia du renard dépend de la présence du bon hôte intermédiaire. Le professeur Peter Deplazes, ancien directeur de l’Institut de parasitologie de l’Université de Zurich, a montré par une expérience de terrain menée au Tessin, que le ténia du renard n’est présent que dans les vallées les plus septentrionales, où l’on trouve également le campagnol qui est son principal hôte intermédiaire. Nous ne savons pas si une variation de la population de campagnols influence également la fréquence des infections, car aucune étude n’a été faite à ce sujet. En analysant des échantillons d’excréments de renards dans les zones de loisirs à proximité de Zurich, Peter Deplazes a découvert qu’environ un quart à la moitié de tous les renards excrètent des oeufs de ténia et que 10 à 20 % des campagnols capturés étaient infectés. Mais il ne s’agissait que d’un instantané.
Beat Müllhaupt : Autrefois, on disait souvent que la population rurale était particulièrement exposée au ténia du renard, ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Les renards s’adaptent très bien aux environnements urbains, où ils ont souvent accès à une plus grande quantité de nourriture sur une surface donnée.

Hormis le renard, le chien constitue également un hôte définitif potentiel pour le ténia du renard. À quelle fréquence les chiens infectés contribuent-ils à la transmission ?
Beat Müllhaupt : Chez les chiens qui chassent les campagnols, le ténia peut être détecté chez 3 à 7 % des canidés. Dans le cadre d’un projet de recherche au Kirghizistan, nous avons constaté que les chiens constituent vraisemblablement un réservoir important, car ils ne sont pas nourris et doivent chercher leur nourriture. En Suisse, la plupart des chiens sont vermifugés régulièrement et attrapent rarement des campagnols. On y compte donc beaucoup moins de chiens infectés.

Quelles sont les sources les plus fréquentes d’infection en Suisse ?
Beat Müllhaupt : Nous ne le savons pas exactement. Lorsque les personnes infectées sont examinées à l’hôpital, plusieurs années, voire plusieurs décennies, se sont écoulées. Les chasseurs, les propriétaires de chiens et les cueilleurs de baies constituent des groupes à risque. En revanche, on sait peu de choses sur les voies d’infection. Il existe de nombreuses possibilités et il peut facilement arriver qu’on ramène des excréments de renard chez soi sur ses chaussures et qu’ils soient ensuite ingérés.

« Dans environ 20 à 30 % des cas, il est possible d’interrompre le traitement après quelques années. »
Prof. Beat Müllhaupt

Quels sont les stades de l’infection chez l’être humain ?
Rudolf Ansgar Deibel : Les larves éclosent dans l’intestin grêle puis migrent dans le foie par les vaisseaux sanguins. Elles s’y installent et forment un tissu larvaire qui se développe très lentement, comme une tumeur agressive. Selon son volume, il peut causer des problèmes plus ou moins importants et notamment obstruer les vaisseaux sanguins centraux ou les voies biliaires du foie. Les larves peuvent également migrer vers les poumons, la rate ou le cerveau.

Quels sont les symptômes typiques que les médecins de famille devraient reconnaître ?
Rudolf Ansgar Deibel : Le symptôme le plus fréquent est une douleur dans la partie supérieure de l’abdomen qui peut toutefois être le fait de nombreuses maladies. Il convient donc de réaliser une échographie du foie. Un autre signe clinique évident est l’ictère obstructif qui résulte d’un engorgement des voies biliaires par le tissu larvaire. Dans ce cas, il faut impérativement procéder à un examen complémentaire par imagerie.

Comment poser le diagnostic ?
Rudolf Ansgar Deibel : En cas de suspicion d’infection, des techniques d’imagerie comme l’échographie, la tomodensitométrie ou l’IRM permettent d’établir le diagnostic avec l’ajout d’une sérologie spécifique. L’échinococcose peut se présenter de manières très différentes à l’imagerie. Même si les modifications sont aisément reconnaissables par les spécialistes, le fait que la maladie soit rare et que les symptômes puissent être confondus avec d’autres maladies mène relativement souvent à des erreurs de diagnostic.

À quoi les médecins doivent-ils prêter attention pour établir le diagnostic différentiel ?
Rudolf Ansgar Deibel : Il existe certains types de tumeurs, comme le cholangiocarcinome (cancer des voies biliaires) ou les hémangiomes hépatiques, avec lesquels l’échinococcose alvéolaire peut être confondue. Il en va de même pour l’échinococcose kystique, qui est une infection causée par le ténia du chien.
Beat Müllhaupt : Le ténia du chien n’existe pas en Suisse. Cette information est importante pour le corps médical. En Suisse, les patients ne sont en fait jamais atteints d’échinococcose kystique et cette maladie n’est pratiquement jamais importée après un séjour à l’étranger. En plus de 30 ans, on n’a comptabilisé qu’un ou deux cas en Suisse, dont l’un concernait une femme qui avait passé beaucoup de temps au Tibet.

Sur quoi repose le traitement de l’échinococcose alvéolaire ?
Beat Müllhaupt : Nous venons de synthétiser, dans une étude, 50 années d’expérience thérapeutique acquise à Zurich [2]. Autrefois, tout reposait sur la chirurgie et s’il était possible de procéder à l’exérèse des kystes hépatiques, le pronostic était bon. Par contre, 90 % des personnes infectées chez lesquelles les stades larvaires ne pouvaient être retirés par voie chirurgicale décédaient dans les dix ans suivant le diagnostic. Il faut toutefois souligner qu’à l’époque, la maladie n’était diagnostiquée qu’à un stade avancé chez de très nombreux patients.

Quel est le déroulement du traitement aujourd’hui ?
Rudolf Ansgar Deibel : Vers le milieu des années 1970, les préparations à base de benzimidazole ont été introduites, tout d’abord le mébendazole et ensuite l’albendazole un an plus tard. Grâce à ces principes actifs, l’espérance de vie des patients inopérables a considérablement augmenté. Au début des années 2000, la chirurgie palliative qui visait à réduire le volume de l’infection par le ténia a été abandonnée. Et 20 ans plus tard, la maladie est de plus en plus souvent traitée par voie médicamenteuse, même pour les personnes dont les lésions pourraient être retirées par voie chirurgicale.

Ces patients doivent-ils alors prendre un traitement médicamenteux à vie ?
Beat Müllhaupt : Pas forcément. L’albendazole et le mébendazole n’éliminent pas les parasites, mais inhibent simplement leur développement. Ces dernières années, nous avons constaté que dans environ 20 à 30 % des cas, le traitement peut être arrêté après quelques années sans que les kystes poursuivent leur développement.

Quels critères faut-il remplir pour arrêter le traitement ?
Rudolf Ansgar Deibel : Nous mesurons les anticorps dirigés contre l’antigène « Em-18 » et vérifions, au moyen d’un PET-scan, si le système immunitaire est actif autour des lésions parasitaires. Si l’anticorps Em-18 est négatif et que le PET-Scan ne montre aucune inflammation autour des lésions, nous sommes relativement sûrs de pouvoir arrêter le traitement. À ce jour, environ 30 patients ont interrompu leur traitement, et seuls deux d’entre eux ont connu une réactivation de la maladie.

Dans l’ensemble, on peut donc dire que les possibilités de traitement de l’échinococcose alvéolaire se sont considérablement améliorées au cours des dernières décennies ?
Beat Müllhaupt : Tout à fait. Les progrès sont énormes. Nous constatons encore toujours une légère diminution de l’espérance de vie chez les patients atteints d’échinococcose par rapport à la population générale, mais cela ne semble pas être dû au ténia. Une des raisons pourrait être que les diagnostics fortuits sont posés chez des personnes qui sont déjà en moins bonne santé.

Dans quels domaines faut-il poursuivre les recherches ?
Beat Müllhaupt : Le diagnostic peut encore être amélioré. Par ailleurs, nous sommes encore très limités en matière de traitements médicamenteux, car nous ne disposons que de deux préparations appartenant au même groupe pharmacologique. Les principes actifs présentent certes peu d’effets indésirables, mais si les patients les tolèrent mal, il n’existe pratiquement aucune alternative thérapeutique. Un traitement capable d’éliminer rapidement les parasites serait révolutionnaire.

Pourquoi n’a-t-on pas encore réussi à développer un tel principe actif ?
Rudolf Ansgar Deibel : D’une part, la tâche est complexe et de l’autre, les incitations financières font défaut. Dans l’étude européenne, nous n’avons recensé que 4200 cas sur 25 ans. Développer et faire homologuer un nouveau médicament pour un nombre de cas aussi limité n’est tout simplement pas rentable pour une entreprise pharmaceutique. La solution la plus pragmatique consisterait à trouver un médicament déjà homologué pour une autre maladie. Une équipe de l’Université de Berne mène actuellement des recherches sur des substances déjà utilisées, par exemple dans le traitement du paludisme, mais sans succès majeur jusqu’ici.

Y a-t-il d’autres défis à relever ?
Beat Müllhaupt : Les difficultés d’approvisionnement en médicaments constituent un défi majeur. Cela n’existait pas il y a 20 ans. Aujourd’hui, il y a régulièrement des périodes pendant lesquelles certains médicaments ne sont pas disponibles en Suisse. Cela engendre beaucoup de travail supplémentaire et représente une énorme source de stress pour les patients.

Pensez-vous que la fréquence de l’échinococcose alvéolaire va encore augmenter ces prochaines années ?
Beat Müllhaupt : C’est une bonne question. Notre étude prévoit une augmentation. Mais cela dépendra fortement de l’évolution des populations de renards. Il y a actuellement une augmentation des cas de gale du renard, ce qui pourrait les décimer et limiter le nombre d’infections.

Faut-il inciter la population à changer de comportement ?
Beat Müllhaupt : Je ne pense pas qu’il faille créer la panique. L’échinococcose alvéolaire reste une maladie très rare. Il est recommandé de se laver les mains régulièrement et de laver les légumes, même ceux qui viennent de son propre jardin, car ils peuvent aussi être souillés par des excréments de renard.

Correspondance

beat.muellhaupt@usz.ch

Littérature

  1. Casulli A, et al. Unveiling the incidences and trends of alveolar echinococcosis in Europe: a systematic review from the KNOWPATH project. Lancet Infect Dis. 2025 Jun ; S1473-3099(25)00283-X
  2. Deibel A, et al. Comprehensive Survival Analysis of Alveolar Echinococcosis Patients, University Hospital Zurich, Zurich, Switzerland, 1973–2022. Emerg Infect Dis. 2025 May ; 31(5) : 906-916